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samedi 15 juin 2019

À propos de lecture à voix haute...

Au sortir d'une lecture à voix haute proposée à la librairie LDLE/ Justicia (Paris 15ème) par l'association Les Mots parleurs d'extraits du livre Grand Oral, petit traité de prise de parole en public, et d'une analyse de mon propre parcours de "créations sonores", je réfléchis à ce que cette forme d'expression orale – la lecture à voix haute – m'inspire. Je propose ici une sorte de longue "méditation" personnelle sur le sujet ; elle puise dans un état de mes connaissances culturelles et pratiques dans ce domaine à un moment M. Le texte est aussi disponible en version audio (en cliquant sur l'image).

https://soundcloud.com/user-492317834/ce-quest-la-lecture-a-voix-aute-reflexion

Lire à voix haute ? Choisir de dire un texte, pour quelqu’un d’autre que soi-même et ce, parce qu’on aime le texte en question, parce qu’on pressent qu’il va être apprécié par d’autres, qu’on imagine l’effet qu’il produira sur un auditoire ou que l’on sait l’enseignement qu’il peut prodiguer, parce que déjà, dans un rapport individuel – de 1 à 1, le texte face à soi et soi face au texte –, un événement s’est produit, le texte nous a ébranlés, fascinés, amusés, il a plu, tout simplement, et c’est la raison principale sinon la seule qui nous conduit à penser qu’il est nécessaire et qu’il doit être retransmis, partagé, que cela, le lire pour plus d’un que soi-même, relève peut-être d’une urgence, et pourquoi pas ? d’une pédagogie éclairée, d’un programme esthétique, d’une hygiène publique ; 

après, en ce qui concerne les conditions de ce partage, la réponse individuelle, réfléchie – pesée, organisée – au comment va-t-on s’y prendre pour gérer l’amont et l’aval de et à cette lecture, c'est-à-dire créer la situation propice au cours de laquelle un texte vient à la rencontre d’un public, moment ouvert et privilégié pendant lequel des mots, une syntaxe, une ponctuation, placés dans un ordre signifiant pour son autrice, pour son auteur, de telle sorte que l’ensemble – phrases, ton, style – raconte, explique, démontre, poétise, que tout cela, enrichi d’un message s’il y en a un à comprendre, à s’approprier, vient saisir des femmes, des hommes de tous les âges ou triés, composant un auditoire présupposé ou ciblé, rêvé, espéré – attendu –, autant d’individualités pour qui le texte dit prendra une coloration singulière, hic et nunc, ou plus tard, dans l’intimité, ou encore, au cours d'un échange collectif et passionné d’expériences communes ; 

comment donc créer l’évènement ? cette situation propice, où,  installés à l’intérieur, dehors, debout ou assis, sur une chaise, au sol, dans un lieu dédié ou aménagé pour l’occasion, une lectrice, un lecteur, et un texte, présence silencieuse parmi des milliards, matière solitaire amenée à prendre vie – matière vibrante, alors –, viennent à la rencontre d’un public ou de son public, grâce à la manière dont on s’est soi-même – en tant que lectrice, en tant que lecteur – saisi de la matière textuelle, la manière dont on l’aura décryptée, ces mille et une façons que l’on aura eu de l’interpréter, l’incarner, la proférer pour soi-même à l’avance, en amont, dans un espace anonyme, personnel – telle une chambre au saut du lit ou une cuisine à midi, un banc dans un jardin public, un dimanche matin, ailleurs –, ou au contraire, accompagné, dans un espace collectif, avec d’autres qui vivent, qui ont vécu, comme soi, comme nous, aspirants lecteurs, cette expérience grisante de la préparation, de la rumination, de la régurgitation à voix haute, chantante, monocorde, illustrative, d’une matière textuelle significative ;

une matière textuelle,récit, poème, réflexion –,  écrite, modelée, créée par l’autrice, l'auteur – comme venue au monde –, cette parole accouchée à voix basse, peut-être la nuit, l’esprit, le corps, l’âme, en surchauffe ou le jour, posé confortablement en terrasse, un café amer comme unique interlocuteur ou goûtant la saveur stimulante d’un thé parfumé, d’un chocolat, une matière textuelle griffonnée à la hâte sur un carnet, en suite de mots gravées, multiples inscriptions de bouts d’un autre soi-même, bribes de fictions, existences parallèles, les fragments d’une pensée plus globale, plus vaste – un monde en soi en ébullition –, une matière textuelle active qui, peut-être, à certains moments, au détour d’un paragraphe, entre deux chapitres, sera composée à voix haute par l’autrice, par l’auteur, dans un « gueuloir » d'un genre nouveau, privatif solitaire ou consacré ; 

le texte anxieux se questionne face à son miroir, composition motivée par l'énergie, l'envie de dire, le besoin d’expression propre de l'écrivaine, de l'écrivain, une intériorité complexe qui cherche à s’extérioriser par le prisme des mots et des figures choisis, à se simplifier, à se mettre en scène, espace médian original, terrain d’explorations libres de sa sensibilité, de son intellect, de son  art de la composition littéraire, matière textuelle, toujours, fabriquée plutôt au sein d’un « gueuloir » collectif, avec la Place publique – un café, une scène – le corps du texte paradant presque à vif, dans une sorte de vulgarisation provocatrice, un bout d’essai jeté en pâture – soi-même mis à nu ; 

c’est tout cela qu’il faudra, qu’il nous faudra préparer en amont, ce rapport corporel avec un autre, une identité littéraire d’esprit et de papier dont le texte constitue la trace, le vestige, le support d’un cri, aussi, d’impuissance, d’amour, de rage, de triomphe ? – on a bien le droit de se raconter ce qu’on voudra, de faire fi de l’exégèse, de l’explication, mieux de la clarification docte du texte, on a bien le droit d’écrire sa propre genèse afin d’écrire son cheminement personnel, d’inscrire en soi une expérience littéraire et d’être en mesure de lire, donner, offrir à qui est là pour la saisir, la recueillir, la savourer, une histoire ; 


lire à voix haute revient donc à se laisser prendre par un texte, à entrer, cela n’est pas extraordinaire, dans un corps à corps face à une matière textuelle capable de se montrer rétive, pleine de complications, de subtilités, de pièges, et, une fois le texte assagi, apaisé – dompté –, créer des conditions pour qu’il en soit ainsi pour d’autres, je veux dire, installer cet espace de liaison(s) entre, la lectrice à voix haute, le comédien, construisant ainsi une sorte de chaîne de (re)transmissions grâce à laquelle un texte connaît une seconde vie, des vies !, un lien affectif délicat se tissant entre une sensibilité de lectrice, de lecteur, et une sensibilité d’auditoire ;

l’auditoire sera captif, avisé, prévenu, par conséquent, circonspect ou involontaire, de passage, comme saisi, happé, apostrophé dans son quotidien, dans sa routine débile, mécanique, religieux rituel usant l’imagination ; 

il arrive que certains lecteurs apportent en soutien à leur voix tout un appareillage circonstancié ; 

pour que le texte soit délivré, il aura besoin, cet auditoire occasionnel, d’être violemment séduit, enivré, pris dans le piège serré des mots arachnides – quasiment emmailloté – ou alors, secoué par des paroles étranges et étrangères qui le tireront de son hébétude ; 

pour les autres, celles et ceux qui savent et qui ont pris l’habitude d’accueillir les mots dans des cercles, pas d’inquiétude, nul besoin de les convaincre, simplement, sans doute, il faut ne pas les décevoir ; 

s’il est d’accord, si le public est partant, les mots, les phrases, les paragraphes, le texte, le traverseront, ils lamineront gaiment sa douce quiétude, pendant quelques minutes, une demi-heure, une heure, et pour quel saccage en soi, à présent, si  la lecture est bonne !, je veux dire, si la lectrice, le lecteur, y a mis, le ton, l’énergie, la passion nécessaires – la fantaisie, la folie –, pour que se produise ce délicieux saccage intérieur de l’être à l’écoute, que le corps du texte ébranle le corps du public ; 

sur l’instant, soudain, un quelque chose de familier et de bizarre s’est glissé entre la peau et les os, entre la raison et le cœur, un quelque chose s’est imprimé plus ou moins profondément, un quelque chose s’est déposé sur la langue, le goût des mots ;

des réminiscences du texte, d’un geste de la main, d’un déplacement tout entier du corps de la lecture, d’une "danse littéraire" viendront ensuite, sûrement, des choses comme cela doivent se passer, il faut que le texte revienne en soicomme un arrière-goût de mots –, que le texte ait redessiné en soi les contours flous d’un ailleurs en stase aux aspects semblables à l’enfance ; 

il n’y a pas d’erreurs de lectures, d’incorrections, de liaisons insolites, de bafouillements, de voix ou de tons inappropriés,  il y a des voyages avec la langue des textes, il y a des épisodes littéraires, des transports de lectures, certaines aventures avec les lecteurs à voix haute pour guides et compagnons à la fois, seront moins dépaysantes que d’autres, jetteront l’autre celle, celui qui écoute distraitement ou intensément – dans des cascades, des déserts, des gouffres ou ouvriront sur les charmes charnus de plaines grasses et verdoyantes ; 

la lecture à voix haute exige cette préparation rigoureuse,  ce travail de saisissement du texte littéraire,  pour faire au mieux, il faut faire de son mieux ou ne rien faire, ne pas se laisser tenter pour de faux, il ne faut pas se précipiter si l’échec est prévisible, si l’on devine que le médiocre s’invitera et s’assoira à la table des convives, si l’à-peu-près sera de la fête et s’éclipsera avec la mariée, pour cela d’abord et contre cela ensuite, chacun a sa recette, il faut en avoir une – sans structure point de lecture ;  

par exemple, la répétition – appliquée –  du texte jusqu’à la lie, l’ivresse, lire et relire au point, oui, d’être quasi pénétré(e) par le texte, ses méandres, ses surprises, et le faire avec et sans musique – l'ajout d'un son, même momentané, peut aider à ménager des respirations bienvenues ; les exercices de prononciation variés – contrepèteries, virelangues et autres jeux de mots ludiques – d’une difficulté croissante provoquant parfois, à grand renfort de grimaces involontaires, une hilarité bienfaisante irradiant tout le corps d’une joie fort nécessaire, ma foi, car le plus performatif est à venir, et ce sera là une vigoureuse et saine gymnastique de l’organe, la glotte, la langue, la mâchoire, le cou ; la lecture enregistrée et écoutée avec une attention permettant une autocritique sérieuse mais bienveillante ; l'alternance de lectures sans rapport aucun avec le texte à dire afin de déterminer le ton juste par comparaison et différenciation ; enfin, en ressourcement, l'écoute scrupuleuse et si possible l'observation fine des performances de ses modèles courants ou occasionnels* dans tous les lieux connus, à découvrir, et à travers tous les médias et supports disponibles.

Le texte et sa lectrice, son lecteur, se sont choisis –  sont fin prêts , la musique du texte est présente en soi, imposant son rythme au corps, chauffant la gorge et bien calé en bouche, commandant le regard, les mouvements, le moment propice à la rencontre 1 + 1 + eux est aménagé, c’est une scène poétique, c'est une rencontre littéraire, dans un festival, un cabaret, un salon du livre, – toute cette belle sorte de manifestations culturelles, locales, nationales ou internationales, improvisées ou « institutionnalisées » – où l’on vient vivre des choses intéressantes, inspirantes – artistiques –, le public arrive, s’installe, attend, tendez donc l’oreille, à présent, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, votre lecture à voix haute va commencer.

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* Pour se ressourcer, quelques pistes en mots, sons et imagesde lectures à voix haute et d'autres formes d'expression orales que j'ai pu découvrir durant ma formation au Master en Création littéraire (Universités du Havre et de Cergy-Pontoise) :  

la poésie action de Julien Blaine ;

la poésie ordinaire de Lucien Suel

la "poésie articulée" de Charles Pennequin, la poésie oulipienne de Jacques Roubaud, la "rumination minimaliste" de Christophe Tarkos ;

l'humour et le tragique dans le/ du langage poétique chez Jean-Michel Espitallier ;

– les explorations sonores de Christine Jeanney ;

les carnets-vidéos de François Bon, les poèmes-vidéos (ou vidéopoèmes) de Laura Vazquez  ;

– le  "combat avec la langue" de Christian Prigent ;

une lecture en musique d'un texte de Nietzsche par Gilles Deleuze  ;

une aventure de Plume d'Henri Michaux lue par Michel Bouquet ;

et, plus éloigné, le poème vocal dada intitulé Ursonate, écrit et interprété par Kurt Schwitters en 1932...

* Pour élargir son champ d'inspiration, collectionner des voix, devenir soi-même lectrice, lecteur pourquoi pas ? – , des évènements, lieux et opportunités que je découvre récemment :

Vox, le salon urbain de lecture à voix haute et des livres lus

La journée sidérale de la lecture à haute voix  Mots dits Mots lus


© ema dée 

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